Abritée par le plus grand marché de Conakry (Madina), représentant le poumon de l’économie guinéenne, la friperie, communément appelée « Bordeaux », est devenue le lieu favori d’achat de vêtements de toutes sortes, par la population guinéenne.
D’aucuns à la recherche du bas prix ou tout simplement d’articles dits « originaux », les citoyens s’empressent d’y aller. Cela au détriment du prêt-à-porter ou des pagnes traditionnels cousus par les couturiers ou stylistes.
Dans ce marché, où circulent tous les jours de milliers de Guinéens, une partie est largement prisée par les jeunes hommes et femmes, qui cherchent une occasion de faire de bonnes affaires. Dans ce couloir, il n’est pas rare d’apercevoir des jeunes diplômés ou des débrouillards héler les clients qui passent, avec souvent un zest d’ironie. Ils sont appelés ici des « Bordelais ».
Cette cliente que nous avons retrouvée dans le couloir du marché est toute heureuse d’avoir pu s’acheter un haut ; elle nous dira les raisons de ce choix en ces termes : « A chaque fois que tu pars chez le tailleur, il ne fera que te faire souffrir, tu y trouves beaucoup de personnes, mais aussi tu peux t’asseoir plusieurs heures ou attendre des semaines entières pour avoir ton habit. Alors qu’avec la friperie, en moins de temps, tu as un jolie habit et c’est surtout moins cher ».
Ce n’est pas la seule raison, l’ »originalité » aussi justifie ce choix ; c’est en tout cas ce que nous a révélé Fatoumata Yarie Sylla, cliente de la friperie : « La friperie, quand on en achète, on ne trouve pas cela avec une autre personne. C’est très rare, ensuite. On peut le mettre pour des sorties, mais également pour passer la journée. En dernier lieu, c’est aussi un bon moyen d’économiser de l’argent, comparativement au prêt-à-porter qui coûte extrêmement cher ».
Cependant, cette activité ne se résume pas qu’à cette joie que l’on peut lire sur le visage des clients. Cette activité, c’est toute une histoire, mais aussi un art, l’art de convaincre et surtout de rester à l’affût de clients potentiels.
Vivant « à la guinéenne », comme ils disent, l’harmonie et la concorde règnent dans ce marché, très bien structuré, où chacun respecte la hiérarchie, des importateurs aux détaillants, même si souvent des instants de contrariété surviennent, notamment avec la qualité des vêtements.
Soutenant que la friperie ne se porte pas mal et obéirait à la règle du business, c’est-à-dire faisant le plein de clients les fins de mois et moins à mi-mois, Sékou Soumah, secrétaire général des jeunes, n’a pas manqué de souligner les problèmes rencontrés dans cette activité : « Nous rencontrons des difficultés. Par rapport aux importateurs, nous avons des fois des problèmes avec la qualité des vêtements qu’ils importent, souvent tu trouves qu’il y a de la bonne et parfois aussi de la mauvaise qualité. Il y a aussi le prix, mais nous essayons de gérer avec le temps, puisque nous sommes de jeunes diplômés et comme nous n’avons pas de travail, c’est ici que nous venons nous débrouiller. Le problème aussi, c’est le fait que quand tu vas pour choisir les ballots de vêtements pour homme et quand tu casses le ballot, tu trouves des vêtements pour femmes et vice versa ».
Comme tout dans lieu, « Bordeaux » aussi a ses doyens. C’est le cas Namory Keita, qui depuis une vingtaine d’années exerce ce métier qu’il a vu se développer au fil des années. Aujourd’hui, importateur, il nous a expliqué comment il joue sa partition : « Les importations se font des Etats-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie, de Dubaï…. Si tu as ton partenaire là-bas, il t’envoie la liste de colisage et si tu es intéressé, tu fais tes calculs et si tu vois vraiment que c’est avantageux, tu t’engages, tu lui fais un dépôt, après avoir produit, tu payes le reste et il balance ton colisage. »
Par rapport à l’état des vêtements dans les ballots : « La qualité, il y a certains vêtements qui ne sont pas tellement propres, donc les détaillants mécontents viennent se plaindre à notre niveau et nous aussi à notre tour, nous remontons cela à nos fournisseurs, pour qu’ils y aient correction », indiquera-t-il.
Par ailleurs, pendant que des centaines de conteneurs pleins de ballots de vêtements atterrissent dans le pays, les stylistes, tailleurs et autres, en ressentent l’impact, qui se matérialise par le manque de clients.
Styliste et créateur de mode, Alpha O, qui estime qu’il faut partir vers la création de l’économie à travers la mode, pour plus d’emplois et pour aider les jeunes à s’émanciper financièrement, explique que : « La friperie a un impact très très grave sur nous. Parce que nous n’arrivons pas à habiller tout le monde. C’est vrai que les stylistes coûtent cher. Les gens préfèrent aller à la friperie parce que c’est du direct. Mais ils doivent comprendre qu’ils sont en train de tuer l’économie de la mode, ils sont en train de détruire les emplois que la mode est en train de créer. Prenons par exemple 100 personnes qui s’habillent chez un couturier, un styliste ou un tailleur, cela permet de rehausser le niveau de l’économie. Je pense que bannir ce côté friperie donnerait vraiment de l’ampleur par rapport à la jeunesse et à l’économie de la jeunesse dans la mode ».
Au-delà de ce combat acharné entre ces deux styles qui relève de la lutte entre tradition et modernité, la jeunesse guinéenne est en pleine mutation vestimentaire, chacun allant selon son goût.
source: Guinee7.com
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