2020, c’est dans quelques mois, et les intentions du président guinéen, Alpha Condé, de briguer un troisième mandat, contrairement à la Constitution qui n’en autorise que deux successifs, semblent se préciser. En tout cas, c’est ce que l’on est porté à croire avec cette condamnation, le 7 mai dernier, à trois mois de prison ferme et une amende de 500 000 Francs guinéens pour « entrave à la liberté de manifester » et « troubles à l’ordre public », d’activistes qui manifestaient contre un troisième mandat du chef de l’Etat, en marge d’un rassemblement en présence du président guinéen. De quoi largement convaincre que de l’intention, la question du troisième mandat est passée au stade de rêve pour le président guinéen.Un verdict qui vient relancer le débat sur une question sur laquelle l’intéressé continue d’entretenir le flou. Est-ce à dessein ? L’on est porté à le croire.
De défenseur, Alpha Condé risque de se transformer en fossoyeur de la démocratie dans son pays
D’autant plus qu’à chaque fois que l’on évoque la question, le locataire du palais Sékoutouréya affiche un agacement qui frise parfois la colère noire. Pendant ce temps, les manifestations contre le fameux troisième mandat sont invariablement réprimées avec à la clé, des arrestations de militants de l’opposition, quand le président Condé ne donne pas le sentiment d’inciter les militants de son parti à aller à l’affrontement. Cela est regrettable pour une personnalité politique de son rang, qui a consacré sa vie d’opposant à l’enracinement de la démocratie dans son pays. Comment comprendre alors, une fois parvenu au pouvoir, une telle attitude qui se situe aux antipodes de ce noble combat ? Cela n’est pas digne de son rang et ne reflète pas la sagesse de son âge. Le pouvoir, dit-on, révèle l’homme. Mais s’il n’y prend garde, de défenseur, Alpha Condé risque de se transformer en fossoyeur de la démocratie dans son pays. Autrement, comment comprendre que pour une opinion exprimée, l’on active la machine judiciaire contre des citoyens ? Au lieu de jouer à cache-cache avec son peuple, Alpha Condé gagnerait à clarifier la situation et à jouer franc-jeu. Cela aurait l’avantage de faire baisser le mercure social ; le président guinéen n’a pas mieux à faire que de se résoudre à respecter l’esprit et la lettre de la loi fondamentale. Quand on pense qu’ailleurs sur le continent, notamment au Niger, des citoyens ont été envoyés au cachot pour avoir appelé à un troisième mandat du chef de l’Etat, l’on ne comprend pas qu’en Guinée, Alpha Condé soit amnésique au point de jouer à un jeu contraire en embastillant des citoyens qui appellent au simple respect de la Constitution. Si ce n’est pas un recul démocratique, cela y ressemble fort. A moins que tout cela ne participe, comme il se susurre, d’une réelle volonté de tripatouillage de la loi fondamentale, toute chose qui aura d’ailleurs valu la destitution de l’ancien président de la Cour constitutionnelle, Me Kéléfa Sall, qui avait clairement mis en garde Alpha Condé contre toute tentative de modification de la Constitution et contre toute tentation de « succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes ».
En mettant en avant la souveraineté du peuple pour trancher la question, on voit Condé venir
C’est le lieu de saluer la grandeur d’âme du chef de l’Etat nigérien, Mahamadou Issoufou, qui a non seulement eu l’élégance de clarifier rapidement sa position en déclinant l’offre de troisième mandat à laquelle voulaient le pousser certains de ses thuriféraires, mais qui est en passe de prouver, pour ceux qui en doutaient encore, qu’il est un homme de parole avec la récente désignation d’un dauphin pour porter les couleurs de son parti à la prochaine présidentielle. C’est une attitude de responsabilité qui honore son auteur et qui atteste que l’Afrique est aussi capable de produire une telle race de dirigeants.En tout état de cause, si Alpha Condé veut ramer à contre-courant de l’histoire, c’est à ses risques et périls. Car il pourrait en récolter les pots cassés. En effet, le peuple guinéen dont il répète à l’envi la souveraineté, pourrait le ramener à la triste réalité et au souvenir d’un Blaise Compaoré, l’ex-président burkinabè, qui s’est brûlé les doigts sur la question. Car, en vérité, en mettant en avant la souveraineté du peuple pour trancher la question, on voit Condé venir. Mais il faut plutôt craindre que cela ne contribue à exacerber les tensions et à jeter de l’huile sur le feu, auquel cas le pays risque de basculer dans une crise politique à l’issue incertaine. Or, la Guinée n’a pas besoin de ça. Car, de fait, la tension est déjà palpable, avec l’opposition qui est vent debout, depuis des mois, contre ce fameux projet de troisième mandat. Mais le chef de l’Etat semble tellement obnubilé par la question qu’il donne l’impression de ne pas voir le danger qui guette son pays poussé chaque jour vers le précipice par son autisme et sa cécité. Il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que l’octogénaire président ait la sagesse de son âge pour se ressaisir.
« Le Pays »
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